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Tunisie 2019 - Environnement et décentralisation


Impact et influence des élus locaux : entre opportunités politiques de mobilisation et renforcement des capacités


Au cours de l’année 2019, le Groupe d’initiative des élus locaux pour l’environnement a organisé 4 rencontres (février, juillet, novembre et décembre) à Tunis avec le soutien de la Fondation des Verts hollandais, Solidar Tunisie et Actions in the Mediterranean (AIM). Ces évènements se sont structurés autour de 3 grandes orientations :

- Créer un espace de débat pour rassembler et connecter des acteurs d’horizons divers concernés par la problématique environnementale.

- Initier un débat qui engage des acteurs multiniveaux dans une réflexion commune et structurée sur les pistes de mobilisation collective pour adresser la question environnementale à l’échelle politique (locale et nationale). Etudier les pistes envisageables en matière de renforcement des capacités des acteurs intéressés par la question environnementale.

- Lancer le débat sur les stratégies possibles de sorte que les mobilisations collectives impactent le débat politique et le processus de prise de décision.


Contexte


D’après un rapport publié par la GIZ en 2014, la Tunisie produit annuellement 6.943.000 tonnes de déchets. A l’échelle du citoyen la quantité produite, par jour et en milieu urbain, serait de 0,815 kg en moyenne. Cette même étude indique que sur les 2.423.000 tonnes de déchets municipaux collectés, seuls 5% sont compostés et 4% sont recyclés. Le dossier de la gestion des déchets illustre parfaitement l’absence réelle et la défaillance de l’Etat tunisien et de ses structures à lancer les réformes urgentes pour apporter des réponses conséquentes aux catastrophes humaines, phytosanitaires et environnementales. Malgré les interpellations et les manifestations quotidiennes des citoyens, des associations, des experts et les nombreux scandales notamment sanitaires et environnementaux, la Tunisie est loin d’être débarrassée de son titre « La Tunisie est devenue une décharge à ciel ouvert. ». Face aux risques écologiques et sanitaires de plus en plus importants et au manque d’action des pouvoirs publiques concernés, les Communes, acteurs incontournables du développement durable, sont désormais en première ligne. Elles ont la « responsabilité d’assurer une fourniture efficace et durable des services publics relatifs à la mobilité intra-urbaine, à la gestion de l’eau, à l’accès aux nouvelles normes énergétiques, et à la collecte et le transport des déchets ».

Cependant, le Code des collectivités locales (CCL), voté à l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) en avril 2018, augure une mise en œuvre complexe liée en partie à des ressources budgétaires limitées, à une lourdeur bureaucratique administrative et à une faible coordination entre les structures publiques. En novembre 2017, le rapport de la « Heinrich Böll Stiftung » pointait du doigt les lacunes du CCL en matière de protection de l’environnement, dénonçait « une présence prépondérante de l’autorité centrale » sur les questions environnementales, précisant que « plusieurs dispositions renvoient désormais aux compétences de l’Etat, à la coordination avec les structures centrales ou encore à la législation en matière d’aménagement du territoire » et mentionnait l’absence de la notion « d’économie verte ».


La question environnementale : entre opportunités politiques et renforcement de la démocratie


La décentralisation a fait son entrée dans le paysage politique et social depuis le 6 mai 2018, date des premières élections municipales. Si les interactions effectives intra-acteurs locaux et inter-acteurs locaux, régionaux et nationaux sont défaillantes, voire même inexistantes, les opportunités de coopération sont énormes et concernent tous les domaines, de l’emploi à l’éducation en passant par les transports, le développement durable, la lutte contre la pauvreté et les inégalités. L’environnement est un aussi un domaine qui souffre de l’absence de synergies et de stratégies entres acteurs concernés par des questions cruciales telles que la gestion et la valorisation des déchets, la pollution et la détérioration des côtes et de l’écosystème. Pourtant, il est indéniable que la problématique environnementale soulève, depuis 2011, une forte mobilisation populaire et associative à l’échelle de tout le territoire. Dans la Tunisie post-Benali, cette forme de participation politique nationale et locale a le mérite de visibiliser le rôle croissant de la société civile et de porter à l’agenda politique une question de santé publique qui ternit l’image du pays à l’échelle internationale, empêche son développement économique et fait fuir les touristes et les investisseurs. Interpellée par la pression de la rue, relayée par de nombreux médias, nationaux et internationaux, l’action de la classe politique se cantonne à l’adoption de solutions à court terme. L’absence d’une gouvernance globale et transparente prive les Tunisiennes et les Tunisiens de la jouissance de leur droit à l’environnement.

Dans ce contexte, le niveau local représente un levier d’action puissant. Mais, la fragmentation et le manque de coordination qui caractérisent les mobilisations collectives locales dans le domaine environnemental pourraient limiter, comme c’est le cas actuellement, la capacité d’impacter le débat public et de peser sur la prise de décision politique. Or, le contexte est en Tunisie, plus que jamais, favorable à l’activisme politique et à la participation citoyenne ; une voie exceptionnelle pour des changements politiques insufflés par le bas, marqueur positif d’une démocratie en construction.

La mise en œuvre de ces opportunités de mobilisation amène à se poser les questions suivantes intrinsèquement liées :

- Quels rôles pour les élus locaux dans le développement d’une politique environnementale à l’échelle communale, soutenue par la société civile, l’Etat et ses instances ?

- Comment promouvoir une collaboration intégrant tous les acteurs de la chaîne ?

- Comment rendre effective l’approche participative, dans un contexte nouveau de décentralisation, où le fonctionnement des Communes est encore flou et où leur capacité d’action est en construction ?

- Comment faire en sorte que ces actions fragmentées s’insèrent dans un mouvement environnemental unique avec une capacité d’agir et d’impacter le processus de prise de décision politique ?

- Comment les élus locaux peuvent-ils influer sur le processus de décision politique local et national et ainsi contraindre les décideurs politiques à adopter les mesures conséquentes ? Quels liens entre le local et le national ?

- Sur base du contexte spécifique tunisien, comment mettre en place une stratégie globale coordonnée et des plans d’actions adaptés aux défis environnementaux notamment ceux posés par la gestion des déchets ?

- Quels rôles pour les acteurs internationaux dans le soutien et l’accompagnement à ces processus de mobilisation ?


Mobilisations en réseau des élus locaux pour l’environnement


Le 2 février 2019 à Tunis, des militant.es, des journalistes, des élu.es locaux, des maires, des expert.es, des représentant.es d’associations tunisiennes et de think tanks se sont réunis pour débattre de « La problématique environnementale en Tunisie : opportunités politiques et citoyennes de mobilisation collective ». Les objectifs de cette rencontre étaient triples :

- Créer un espace de débat permettant de rassembler, de connecter les défenseurs de l’environnement, venant d’horizons divers, d’échanger sur les opportunités d’actions politiques et citoyennes au-delà de tous clivages (régionaux, politiques, sociaux, économiques, etc.).

- Initier un débat qui engage des acteurs multiniveaux dans une réflexion commune et structurée sur les pistes de mobilisation collective pour adresser la question environnementale à l’échelle politique (locale et nationale). Etudier les pistes envisageables en matière de renforcement des capacités des acteurs intéressés par la question environnementale.

- Lancer le débat sur les stratégies possibles pour que les mobilisations collectives impactent le débat politique et le processus de prise de décision.

A l’issue des débats, les participants ont exprimé le souhait de continuer à travailler ensemble de manière structurée pour constituer une solide force de proposition, d’action et de mobilisation en matière environnementale. C’est dans ce cadre que le « Groupe d’initiative des élus locaux pour l’environnement » a vu le jour ; une structure organisée avec des règles, un budget de fonctionnement (par exemple les frais liés aux activités) et un secrétariat fonctionnel.

Le 13 juillet dernier, une seconde rencontre s’est tenue à Tunis. Les débats ont confirmé l’absence de l’Etat; aucune vision ni plan stratégique en matière environnementale, en ce compris la gestion des déchets. Par ailleurs, les municipalités sont livrées à elles-mêmes dans la mesure où le transfert de compétences dans le cadre de la décentralisation est un processus en cours. En fait, les élus locaux ne disposent pas d’un cadre légal abouti pour répondre efficacement et dans les temps aux urgences environnementales, enjeux majeurs de la gouvernance locale. Les tentatives de conserver une centralisation des pouvoirs à l’échelle nationale empêchent aussi les élus locaux de faire correctement leur travail. A cela s’ajoutent le manque de moyens en termes financiers et d’équipement, l’absence de coordination entre les différents niveaux de pouvoir, les acteurs et la fragmentation de la mobilisation citoyenne. La faible présence de la problématique environnementale à l’agenda politique de Carthage, sauf en cas de polémique, accroît la difficulté des élus locaux à faire entendre leur voix. Au cours des discussions, les participants ont réfléchi à des stratégies de contournement de ces blocages. La Fondation des Verts hollandais et AIM ont confirmé leur volonté de travailler en réseau, par le biais d’un « Groupe d’initiative des élus locaux pour l’environnement» soutenu par les acteurs de la société civile, dont l’objectif serait de mutualiser les efforts et les expériences pour proposer des projets concrets et constituer une force de proposition qui impacterait les décideurs politiques et le processus de décision. La mise en réseau permettrait une préparation et un suivi efficaces des mobilisations qu’elles soient le résultat d’une action des élus locaux ou de la société civile. Une telle approche unirait les différentes forces en présence et produirait un discours et des actions communs et renforcerait le pouvoir des élus locaux en valorisant leur travail.

Le travail s’est poursuivi lors des rencontres du 23 novembre et du 14 décembre dernier à Tunis. La réunion de novembre 2019, modérée par Amel Jrad, a rassemblé des activistes et des élus locaux qui ont participé aux deux événements précédents pour discuter du suivi des réunions de février et juillet 2019. La rencontre s’est structurée autour de 3 axes :

- Discuter la mission du réseau et d'un projet de plan d'action pour l'année 2020 (axe thématique, activités ou projets concrets, etc.).

- Présenter un projet de document stratégique intitulé « Les défis locaux en matière d’environnement et le processus de décentralisation », rédigé par Afef Marrakchi (Maître de Conférences agrégée en droit public) soutenu par la Fondation Heinrich Boell à Tunis, et se concentrant sur les défis auxquels les autorités locales sont confrontées en matière d’environnement, en particulier dans le cadre du processus de décentralisation. Dans cet article, l’expérience du Groupe d’initiative des élus locaux pour l’environnement a été prise en compte.

- Discuter des objectifs de la dernière rencontre de l’année 2019, la conférence du 14 décembre.


Afek Marrakchi

Amel Jrad - Chargée de mission au Ministère des affaires locales et de l'environnement de Tunisie

Après la rencontre du 23 novembre dernier, le Groupe d’initiative des élus locaux a présenté, le 14 décembre, son initiative commune de se structurer en réseau pour travailler ensemble sur la question environnementale en Tunisie sur base du document stratégique co-écrit avec Afef Marrakchi.


Groupe d'inititiative des élu-es locaux pour l'environnement

Jallila Ben Hassen Fethia Meftahi Amel Meddeb


Cette conférence publique a mis en évidence le sens et la cohérence d'une telle initiative en matière environnementale et ce dans le contexte général tunisien. La conférence a plaidé pour une priorisation du rôle des maires et des conseillers municipaux, y compris les femmes, en tant qu'acteurs clés pour dépasser les blocages et les obstacles. Les discussions ont aussi confirmé la complexité de ce processus et les alternatives pour surmonter les difficultés structurelles et conjoncturelles qui y sont liées. Les débats ont été orientés sur la sensibilisation du public à la nécessité de développer une approche intégrative et participative pour faire entendre les voix de la protection environnementale lors des prises de décision au plus haut niveau.



A l’issue de cette série de rencontres, le Groupe d’initiative des élus locaux pour l’environnement est décidé à poursuivre le travail pour influencer la gestion de la problématique environnementale et impacter les décideurs politiques. 2020 s’annonce être une année riche de débats et d’actions, autant dire que le soutien des partenaires nationaux et internationaux tels que la Fondation des Verts hollandais, Solidar Tunisie et Actions in the Mediterranean est crucial.




Retrouvez en image les moments forts de cette dernière rencontre de l’année 2019 :





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