Dans un contexte de décentralisation naissante : entre opportunités d’action pour les élus locaux et opportunités de mobilisation politico-citoyenne ?
Aujourd’hui les sociétés civiles, en particulier les jeunes, sont nombreux à se mobiliser; ils réclament des actions urgentes et concrètes de leur état pour réduire la facture climatique. L’enjeu du réchauffement climatique est d’autant plus inquiétant lorsqu’il concerne des pays en situation fragile de transition, tant à l’échelle politique, institutionnelle, sociale qu’économique. L’absence d’une vision globale et des politiques défaillantes en matière environnementale causent des dégâts conséquents et constituent un frein considérable au développement durable, au respect du droit à un environnement sain et à la transition écologique. Depuis 2011 et dans un contexte difficile et complexe, la Tunisie se bat pour construire son identité démocratique sur des bases solides. En dépit des avancées réalisées, la problématique environnementale est un échec politique patent des gouvernements qui se sont succédés depuis la chute de Ben Ali. Alors que les initiatives vertes populaires foisonnent à travers tout le pays, force est de constater qu’un mouvement de contestation global qui influerait sur le politique peine à voir le jour.
A l’initiative de la Fondation des Verts hollandais et d’AIM, le 2 février 2019, une première rencontre intitulée « La problématique environnementale en Tunisie : opportunités politiques et citoyennes de mobilisation collective », réunissait des militants, des journalistes, des élus locaux, des Maires, des experts, des représentants d’associations tunisiennes et de Think Tanks.
Les participants ont débattu des opportunités d’impacter le débat politique et d’influencer le processus de prise de décision sur ces questions. Cet événement visait 3 objectifs :
1. La création d’un espace de débat permettant de rassembler et de connecter les défenseurs de l’environnement, venant d’horizons divers et le lancement d’un débat qui engage des acteurs multiniveaux dans une réflexion commune et structurée ;
2. Discuter les opportunités d’actions politiques et citoyennes au-delà de tous clivages (régionaux, politiques, sociaux, économiques, etc.).
3. Débattre des opportunités de renforcement des capacités des élus locaux.
Cette journée a aussi été l’occasion de discuter les enjeux d’une gouvernance locale et globale qui prenne en compte la diversité territoriale dans le cadre de la décentralisation ainsi que les synergies possibles entre les élus locaux et la société civile.
A l’issue des débats, les participants ont exprimé le souhait de continuer à travailler ensemble de manière structurée pour constituer une solide force de proposition, d’action et de mobilisation en matière environnementale.
Le 13 juillet dernier, une seconde rencontre s’est tenue à Tunis. Réunissant des experts tels que Lobna Jeribi (Solidar Tunisie), des élus locaux dont Radhia Bel Haj Hassen (Maire de Zaout Kontech – Monastir), Latifa Tajouri (conseillère municipale à La Marsa), Chaehrazad Laghouan (Maire de Ajim – Djerba), Nabiha Mrabet (Vice-Maire de Kebili), Hayat Mhamdi (conseillère municipale à Kasserine) et des militantes dont Ibtissam Hajri (Association d'Education Environnementale pour les Futures Générations), Amira Bej Haj Rhouma (Zero waste Tunisia) et Fathia Meftahi.
Suivant l'ordre : Fethia Meftehi , Radhia Ben Haj Salah , Nabiha Mrabet
Les débats ont confirmé l’absence de l’Etat ; aucune vision ni plan stratégique en matière environnementale, en ce compris la gestion des déchets. Par ailleurs, les municipalités sont livrées à elles-mêmes dans la mesure où le transfert de compétences dans le cadre de la décentralisation est un processus en cours. En fait, les élus locaux ne disposent pas d’un cadre légal abouti pour répondre efficacement et dans les temps aux urgences environnementales, enjeux majeurs de la gouvernance locale. Les tentatives de conserver une centralisation des pouvoirs à l’échelle nationale empêchent aussi les élus locaux de faire correctement leur travail. A cela s’ajoutent aussi le manque de moyens en termes financiers et d’équipement, l’absence de coordination entre les différents niveaux de pouvoir, les acteurs et la fragmentation de la mobilisation citoyenne. La faible présence de la problématique environnementale à l’agenda politique de Carthage, sauf en cas de polémique, accroît la difficulté des élus locaux à faire entendre leur voix.
Au cours des discussions, ces constats ont amené les participants à penser des stratégies de contournement de ces blocages et à confirmer la proposition de la Fondation des Verts hollandais et d’AIM de travailler en réseau, par le biais d’un « groupe d’initiative environnementale des élus locaux » soutenu par les acteurs de la société civile, dont l’objectif serait de mutualiser les efforts et les expériences pour proposer des projets concrets et constituer une force de proposition qui impacterait les décideurs politiques et le processus de décision. La mise en réseau permettrait une préparation et un suivi efficaces des mobilisations qu’elles soient le résultat d’une action des élus locaux ou de la société civile. Une telle approche unirait les différentes forces en présence et produirait un discours et des actions commun et renforcerait le pouvoir des élus locaux en valorisant leur travail.
De gauche a droite : Ibtissem Hajri, Amira Bel Jah Rhouma , Houda Boufaid, Hayet Mhamdi
Si cette rencontre a confirmé le rôle des femmes élues locales et de la société civile, elle a surtout souligné la fragilité de la décentralisation vu l’accompagnement quasi inexistant du niveau national, l’extrême lourdeur des procédures pour les municipalités qui doivent composer avec des moyens trop faibles par rapport aux besoins, l’absence d’une réelle communication entre les différents niveaux de pouvoirs et la persistance d’un système de fonctionnement hérité de la période de Ben Ali.
Cette journée n’a pas clôturé le débat sur la question environnementale. Bien au contraire, des perspectives d’action et de réflexion ont été proposées. Il appartient désormais aux participants structurés en réseau - « groupe d’initiative environnementale des élus locaux soutenus par les acteurs de la société civile » - de faire le suivi et de concrétiser cette opportunité de mobilisation politique et citoyenne autour des enjeux environnementaux.
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